DÉBATS PROSPECTIFS

Vous choisissez deux ou trois contes du futur.

Un comédien lit ces textes.

Nous utilisons cet apport pour animer un débat prospectif avec vos collaborateurs. .

Nage en eaux dépolluées vers les rives dessinées par « Le pêcheur et sa femme » des frères Grimm.

Il sera une fois Victorine.

À 6 ans, elle imaginera que demain ou après-demain les saucisses mordront les chiens. La connerie humaine sera recyclée en fleurs. Des rouges à lèvres redessineront la vie. Les arbres distribueront des bonbons.

À 8 ans, elle rêvera qu’on puisse télécharger des savoirs et qu’on supprime le plastique qui envahit les mers. À cette époque, elle plongera dans l’océan avec son grand-père et prendra conscience des dégâts commis par les plastiques.

À 10 ans, elle crachera sur le miroir à rêves en jurant qu’elle trouvera la solution pour résoudre ce problème. Sa conscience d’enfant sera en état d’urgence en découvrant que c’est le grand carnage dans la mer. Les mammifères et les oiseaux meurent à cause de ces plastiques.

Le temps passe. Victorine devient adulte.

Aidée par son grand-père, elle travaille jour et nuit pour éliminer ce fléau. Elle trouve des solutions qui s’avèrent être des solublèmes ou des solutions qui posent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. D’échec en échec, elle finit par atteindre l’île du succès en inventant des plasticodrones.

Les plasticodrones sont des drones qui aspirent les plastiques, les broient et les transforment en une poudre fine. Quand les conteneurs de ces engins volants sont pleins, ils s’envolent et vont se vider dans des bennes d’un chantier de construction. La matière alimente une imprimante 3D qui fabrique des briques pour les bâtiments ou des revêtements pour les terrains de jeux ou des routes.

L’invention est ovationnée par tous les présidents du monde. Tous achètent des centaines de plasticodrones. C’est la fête de la mer. Les experts pensent qu’avec cette innovation, il faudra au maximum 5 ans pour nettoyer la mer. Grâce à Victorine, on va enfin supprimer ce monstre de plastique de 10 fois la taille de la France qu’on nomme le 7e continent. 

Victorine est reçue par Mamalia, la présidente aux défis planétaires. Mamalia est une hybride. Moitié humaine, moitié intelligente artificielle, on ne sait pas dans quelle case la ranger. Après lui avoir décerné la médaille de commandeur de l’écologie et l’environnement, elle lui précise qu’elle peut lui offrir tout ce qu’elle désire.

La jeune femme bafouille qu’elle aimerait bien emmener son grand-père plonger. Elle voudrait lui montrer qu’il n’y a plus de plastique dans la fosse des Mariannes. Ce gouffre de 10 927 mètres de profondeur est situé dans l’océan Pacifique. Trente ans plus tôt, son papy s’était effondré en y découvrant des sacs plastiques. Aujourd’hui, il plonge dans une profonde déprime en vivotant dans une maison de retraite tenue par des robots manquant cruellement d’humanité. L’expédition lui redonnerait le moral.

À peine, Victorine a-t-elle formulé son désir, Mamalia organise le périple pour le vieil homme. Une semaine plus tard, dans les profondeurs marines, le grand-père grimpe au septième ciel.

De retour de son voyage, Victorine raconte l’aventure à Mout, son mari. Il l’écoute en secouant la tête avant de maugréer.

— Victorine, tu sauves le monde. Tu améliores la vie des millions de poissons, oiseaux, mammifères. Grâce à toi, la mer reprend vie. Les animaux ont de la chance… Pas nous. Nous allons continuer à vivre dans une cabane branlante. À chaque coup de vent, nous craindrons que le toit s’envole, les murs s’écrasent, le sol se transforme en boue.

Pendant quelques jours, Mout rumine contre l’injustice de ce monde. Voulant aider son mari, Victorine contacte Mamalia et lui expose son problème.

Le lendemain, un architecte arrive avec des plans de deux maisons. La première est une construction en parpaings de plastique de mer recyclé. Elle sera chauffée à l’énergie solaire et climatisée par les vents. La deuxième est une pommière. Cette demeure fabriquée à l’intérieur d’un pommier centenaire. Mout retient la première proposition. Il n’est pas Newton. Quand les pommes tomberont, il n’a pas envie de passer son temps à imaginer une théorie révolutionnaire.

La nouvelle maison terminée, Mout invite sa famille, ses amis, les amis de ses amis. Tous apprécient le confort et la beauté de l’habitation. Mout est heureux, mais les agapes coûtent cher. Un jour, son banquier l’avertit qu’il serait temps d’y mettre fin. Contrarié, Mout dit à Victorine.

— Victorine, tu sauves le monde. Grâce à toi des millions de personnes peuvent manger à leur faim en dégustant les produits de la mer. Ces inconnus ont de la chance… Pas nous. Tu remplis les assiettes des autres, les nôtres restent vides. La femme qui sauve le monde et son mari devraient avoir un potager, une ferme avec des animaux et un bassin de poissons.

Pendant quelques jours, Mout est comme un poisson dans son bocal. Il tourne en rond en répétant « Des inconnus ont de la chance… Pas nous ». Attristée de voir son mari aussi contrarié, Victorine contacte Mamalia.

Le lendemain, des pelleteuses creusent. Des tracteurs labourent et plantent un nombre incalculable de variétés de plantes et d’arbres. En fin de journée, des vaches, des moutons, des canards, des poules, des poissons entrent dans leur nouvelle demeure.

Mout est aux anges. Il habite dans une agréable demeure, son assiette est toujours bien pleine.. Ses aliments sont frais et garantis sans pesticides. Il n’est plus obligé d’avaler des plâtrées de criquets et cafards qui lui faisaient voir la vie en noir. Mais,  un après-midi, il entend un jardinier chanter « Hardi, les gars, vire au guindeau, Good bye, farewell, good bye, farewell ». Son détecteur de musique lui indique que le titre de la chanson est « Nous irons tous à Valparaiso ». Son cœur s’arrête de battre quelques secondes avant de passer au mode « Je suis malheureux ». Il rêve alors d’aller passer une journée à Valparaiso. C’est impossible. La maison est à six heures de trottinette de la première station d’hyperloop. Il ne peut donc emprunter ces capsules circulant sur coussin d’air qui relient les capitales du monde. Le soir, il confie son nouveau malheur à Victorine.

— Victorine, tu relies le monde. Grâce à toi, les bateaux peuvent de nouveau circuler. Leurs routes ne seront plus barrées par des déchets plastiques. Leurs moteurs ne tombent plus en panne. Des millions de personnes peuvent emprunter des bateaux pour sillonner le monde. Les étrangers ont de la chance… Pas nous. Nous, pauvres de nous, nous nous sommes condamnés à tourner en rond dans une maison carrée.

Comme Victorine aime vraiment son mari, une fois encore, son désespoir l’émeut. Elle contacte Mamalia. La dame-machine soupire en pensant que la sauveteuse du monde a épousé un insatisfait chronique.

Le lendemain, des camions arrivent à l’aube. À la fin de la journée, il y a une gare d’hyerloop dans le jardin.

Mout est heureux. Un jour, il va à Valparaiso, visite la Sagrada familia, se perd dans les temples d’Angkor. Il augmente son nombre de followers en envoyant des selfies depuis la grande muraille de Chine ou le Taj Mahal. Mais, au détour d’un lieu paradisiaque, il cueille une nouvelle insatisfaction. Elle se nomme l’ennui. Ce mal le ronge quand il est là ou ailleurs. Son ennui est si profond qu’il nuit à son bonheur, surtout la nuit. Dévasté par ce malheur des gens heureux, il partage son angoisse avec sa femme.

— Victorine, tu as redonné le goût à la vie à une jeunesse qui ne croyait pas qu’un jour la mer pourrait être dépolluée. Tu as nettoyé les esprits, permis à des milliards de personnes d’inventer, de créer de nouvelles choses. Les habitants de la planète ont de la chance… Pas moi. Je passe mes journées à me morfondre. Je ne crée pas. Je me laisse porter par la vie.

— Tu aimerais être un artiste, demande Victorine.

Mout secoue la tête et s’exclame :

— Oui, je peindrais le monde en couleur. J’éliminerais toutes ces grisailles qui envahissent nos quotidiens.

Victorine regarde son mari. Elle a de plus en plus de mal à voir son homme en peinture. Comme elle l’aime encore un peu, elle transmet la demande à Mamalia. En l’écoutant, l’humaine robotisée a le sourire de ceux qui ont une bonne idée derrière la tête.

Quand Victorine revient chez elle, Mout est assis devant une toile blanche dans leur cabane d’avant-hier. Sur la table, il y a un morceau de pain dur et trois pinceaux.

— Et voilà, tu l’as ta vie d’artiste, s’exclame Victorine.

— Oui, mais… Ils ont de la chance… Pas

Victorine n’écoute pas son mari. Elle a décidé de le laisser vivre sa vie d’insatisfait et d’aller retrouver son grand-père. Depuis quelque temps, le vieil homme craint que le ciel lui tombe sur la tête, ils ont donc décidé de débarrasser le ciel de tous les débris spatiaux.