La Covid réinterroge le système hospitalier.
Et si l’on imaginait l’hôpital d’après

Réinventons l’hôpital

Crédit photo : @OMA+Groupe-6 architectes. Ce groupe d’architectes anime une plateforme de réflexions sur les mutations de l’hôpital.

La Machine à remonter le futur propose de travailler sur la réinvention de l’hôpital après la Covid. Une fiction d’anticipation envisage deux options :
— Il n’y a plus l’Hôpital, mais des hôpitaux… Green, Techno, Ensemble…
— L’hospitalisation est un moment de socialisation forte.

Depuis quelque temps, mon corps chante une drôle de chanson. « J’ai la rate qui se dilate, le foie qui n’est pas droit, le ventre qui se rentre, le pylore qui se colore ». Devant subir une opération, j’ai rendez-vous avec Faustine Hue, conseillère en hospitalisation. Lors du premier rendez-vous, Faustine m’aide à choisir l’hôpital où pratiquer l’opération.

— Il n’y a plus l’hôpital, mais des hôpitaux, dit Faustine en précisant qu’il y a désormais des hôpitaux pour tous les goûts.

Pour mon opération, j’ai le choix entre le « Techno ». Très apprécié des phobiques du germe, il garantit que le moindre grain de poussière, l’insidieuse bactérie, le perfide virus sont désagrégés. Comme les humains sont porteurs de multiples nano bestioles, ils ont été remplacés par des robots.
— Des robots ? C’est inhumain, dis-je.
— Rassurez-vous, précise Faustine. Vous pourrez personnaliser votre robot de compagnie hospitalière et le nommer.
À l’entendre, ceux qui sont aussi anciens que moi aiment bien se faire accompagner par Lara Croft ou Brad Pitt.
Le « Techno » est l’antre des aficionados des data. Toutes les données exploitables d’un malade sont traquées et moulinées par des intelligences artificielles.

La deuxième option est le « Green ». La nature a investi l’hôpital. On trouve des plantes vertes et des fleurs dans les couloirs et les chambres. La nourriture vient des toits aménagés en potagers. Le personnel soignant a une double compétence. Il a appris à soigner les hommes et les plantes et à utiliser ces dernières pour les soins.
— Ils utilisent des décoctions à base d’aloe vera pour faire disparaître les cicatrices. Des plantes exotiques diminuent la douleur et accélèrent la guérison, précise Faustine.
Le « Green » me plaît bien. Je trouve que c’est un vrai progrès que la chimie soit remplacée et augmentée par des principes naturels. Une crainte me taraude. Si on m’opère dans une jardinerie, ne va-t-on pas considérer que je suis une plante un peu grasse et plus très verte.

Devant mes doutes, Faustine me présente la troisième option. Elle se nomme « Ensemble ». Les soins sont basés sur des échanges entre le personnel hospitalier, les patients et les proches.
— Les patients apprécient beaucoup, car cela leur permet de créer des liens forts avec, en particulier, des personnes qui ont la même pathologie qu’eux, explique la conseillère hospitalière.
L’idée est séduisante, mais je me demande si l’hôpital est vraiment le bon endroit pour se faire de nouveaux amis.

Connaissant mon dossier, Faustine passe vite sur l’hôpital à l’ancienne. Il est composé de petites chambres avec des fenêtres qui n’ouvrent pas, des lits étroits recouverts de bâches épaisses. On y mange de la nourriture insipide conditionnée dans des barquettes plastiques. Le personnel est débordé, stressé.
— J’imagine qu’il n’y a aucun amateur.
— Détrompez-vous. Certains considèrent que la dureté de l’hôpital est essentielle pour leur guérison. Cela leur donne envie de rentrer plus vite chez eux.

Je finis par sélectionner le TGE, l’abréviation de Techno-Green-Ensemble.
— C’est un bon choix, dit Faustine. Il métisse les apports des trois options de base. C’est aussi le plus complexe à gérer. Les plantes nécessitent un environnement qui empêche l’aseptisation totale. Lors des échanges, les intelligences artificielles manquent de souplesse en voulant toujours avoir le dernier mot. Les robots ont tendance à confondre les plantes et les grabataires.

Le choix effectué, Faustine m’aide à remplir le formulaire de l’hôpital. Certaines questions sont étonnantes : « Comment voulez-vous qu’on vous appelle ? Par votre prénom, Madame X, des surnoms affectueux d’animaux… Est-ce que vous souhaitez qu’on gère les visites ou que vos proches viennent quand ils le désirent ? Préférez-vous prendre vos repas dans votre chambre, dans l’espace commun ou avec de potentiels amis repérés par les intelligences artificielles ? »

On passe ensuite au choix du programme de préparation à l’opération.
— On a constaté que lorsque le malade arrive en bonne santé mentale, l’opération a beaucoup plus de chances de réussir, explique la conseillère.

Le menu est riche. Cela va du trail-chant en haute montagne au stage de méditation-hypnose. Ces activités sont prises totalement ou partiellement en charge par la sécurité sociale.
— Le taux de remboursement dépend des effets positifs observés, explique Faustine. Ceux qui diminuent les temps de convalescence sont mieux remboursés.

J’opte pur un stage de trois jours de philosophie-yoga.

« La santé, c’est le luxe de tomber malade et de pouvoir s’en relever ».

Il a lieu dans la forêt de Compiègne.
Chaque jour, on enchaîne des heures de yoga avec des réflexions philosophiques. L’auteur préféré de l’animateur est Georges Canguilhem. En 1943, il affirmait : « La santé, c’est le luxe de tomber malade et de pouvoir s’en relever ». Au cours des discussions, je découvre qu’être en bonne santé c’est donner à son corps la possibilité de faire des écarts par rapport à sa norme habituelle. La maladie est donc une modalité de la santé. Lorsqu’elle est là, il n’y a pas de retour à l’état antérieur, mais la mise en place de nouvelles normes. Il m’explique que Ganguilhem a permis à l’hôpital de changer radicalement de posture. Alors qu’avant, tels des mécanos, les soignants réparaient les corps, ils aident maintenant les patients à effectuer leur changement. I

À l’arrivée à l’hôpital, je suis accueillie par Saby.
— Je suis la fermière en bien-être qui sera votre référent pendant votre hospitalisation.
Je m’amuse de la nouvelle appellation. Depuis la nuit des temps, on a l’impression qu’il suffit de modifier le nom d’un métier pour qu’il change.
— C’est sûr, s’amuse Saby, mais le nom est bien trouvé. Aujourd’hui, notre priorité est de planter des graines pour que le malade puisse s’épanouir à l’hôpital.

Ici, la mort fait partie de la vie

Saby m’amène dans le salon de consultations et me présente aux soignants et patients réunis. Tous me rassurent : l’opération va bien se passer et après je n’aurais aucune souffrance physique.
Le ton est bon enfant. Les médecins sont à l’écoute. Ils font souvent référence à des propos des patients ayant subi la même opération. Ils précisent néanmoins :
— Chaque malade vit sa maladie comme il peut la vivre. Notre rôle est de vous aider à savoir ce que vous voulez faire de votre maladie.

Un homme de 87 ans est en période d’atterrissage. Même si l’on utilise cette métaphore pour évoquer la fin de vie, il parle sans détour de sa mort annoncée.
— Est-ce que vous pouvez dire à ma famille que j’ai été heureux de les avoir aimés ? Côté amour, ils sont un peu durs de la feuille, dit-il avant de raconter qu’il voudrait un enterrement festif avec de la vraie musique.
Je suis troublée. J’ai l’impression qu’ici la mort fait partie de la vie.

Saby m’explique que ces échanges matinaux permettent aux soignants de coordonner les soins et d’opérer en phase avec les attentes des patients. Le caractère collectif évite ce mur avec d’un côté les soignants qui savent et de l’autre les patients qui subissent.
— Ces concertations permettent de gagner un temps fou par rapport à l’ancien système de visite, précise Saby. Mais, si vous le désirez, les médecins peuvent venir vous voir dans votre chambre.
— Les médecins ne nous auscultent pas.
— Bien sûr que si. Rien ne remplace le regard et le contact physique. Sauf qu’avec les nanopilules qui livrent toutes les données, ce n’est pas utile tous les jours.

À la sortie, tous les patients me souhaitent bonne chance pour l’opération. J’ai le sentiment d’appartenir à une communauté éphémère. Je ne suis pas seule avec mon angoisse.

La chambre est conforme à ce que j’ai choisi. Elle est colorée et verte. On peut bouger les meubles. J’aime bien. Même si ces changements sont minimes, on n’a pas l’impression d’enfiler les pantoufles d’un autre.

Le lendemain matin, je descends en salle d’opération. Grâce à l’hypnose et des plantes, je suis détendue. On m’a proposé un endormissement mixte. Mélangeant hypnose, plantes et chimie, il limite les conséquences de l’anesthésie.

Le robot a le geste sûr. Il ne tremble pas, ne fatigue pas.

Hong, la chirurgienne me présente Max, son assistant robotique. Mon corps étant virtualisé, j’assiste à la répétition virtuelle de mon opération. Mes questions l’aident à faire des corrections avant que les travaux soient effectués sur mon corps. Je suis confiante. Le robot a le geste sûr. Il ne tremble pas, ne fatigue pas et réalise des découpes microscopiques.

— Vous voulez de la musique ?
— Vous avez Bach joué par Glenn Gould !
Pendant l’opération, je suis à la fois là et ailleurs. Je suis dans la musique et aussi dans l’odeur de verveine menthe. Des tests ont découvert que mon cerveau se calme lorsque je respire cette odeur. J’entends et n’entends pas le personnel discuter.

Le temps passe vite. Quand je reprends conscience, Saby me tient la main. Je lui souris. Elle me raconte l’opération. Ils ont de gros problèmes pour l’intubation à cause d’une dent qui barrait le passage :
— Je sais, dis-je. C’est une dent contre l’ancien système hospitalier.
— On a été obligé de l’arracher.

De retour dans ma chambre, mes aimants sont là. Ils sont souriants :
— Saby nous a tenus au courant. Avant, on avait vraiment l’impression qu’on dérangeait lorsqu’on demandait des nouvelles de ceux qu’on aime.

À la fin de la journée, Saby me demande si je veux enfiler un exosquelette pour aller prendre le repas avec les autres patients.
J’accepte. Elle pose la combinaison avec quelques scratchs et je n’ai aucune difficulté pour me redresser et me diriger vers l’espace commun.

Aujourd’hui, c’est ma chirurgienne qui est fourneau. On aura donc des spécialités asiatiques. Je m’étonne qu’elle se transforme en cuisinière.
— Un chirurgien considère qu’une opération c’est avant, pendant et après. Hong travaille à des menus qui facilitent la guérison, répond-elle.

Si les morts ne sont plus morts, qu’est-ce qu’on va faire ?

À table, les discussions sont animées. Entre deux cuillères d’un pho goûteux, Betty, une souris rousse souriante, parle avec humour de la scandaleuse disparition prochaine de son être. Elle n’a pas vraiment envie d’abandonner son corps, mais elle ne veut pas du corps de substitution des Japonais.
— On numérise votre cerveau et on vous propose une galerie de corps. Imaginez la tête de mes enfants si je débarque en Bimbo trentenaire, dit-elle avant de partir dans un grand éclat de rire.

Ma voisine raconte que, dans sa famille, on craint surtout que les morts aient froid aux pieds.
— Depuis un siècle, on tricote des chaussettes à nos morts. Si les morts ne sont plus morts, qu’est-ce qu’on va faire ?

Moustache, un doux vieillard explique qu’il veut que son corps serve à chauffer l’école maternelle de son village. Il ne comprend pas qu’hier les incinérateurs consommaient de l’énergie à perte.

Martyl, un gamin d’une quarantaine d’années, est l’une des fréquentes victimes des manipulations génétiques. Il est en colère contre cette société qui considère que le progrès n’a pas d’histoire. Il doit servir les intérêts immédiats de nantis. C’est à cause de cette idéologie qu’il se retrouve avec une espérance de vie ridicule. Ses parents voulaient un enfant alors qu’ils étaient porteurs de maladies génétiques. Le prix, c’est lui qui le paye aujourd’hui.
— Ici, on fait un voyage au bout de soi, dit-il. C’est sympa de faire ce voyage dans de bonnes conditions. Il n’en demeure pas moins que c’est une odyssée solitaire et radicale, d’où l’on n’est pas certain de revenir.
— Martyl, tu es jeune, tu as l’avenir devant toi, dit Saby qui est aussi sa référente.
— Saby, tu ne comprends pas, répond Martyl. Je vais te donner un exemple. Aujourd’hui, avec les dysfonctionnements des programmes des voitures autonomes, on a tous un risque de se faire renverser par une voiture et mourir demain. Mais, quand comme moi on a une dégénérescence génétique, c’est comme si leurs programmes ne voyaient pas quand tu marches au milieu de la route. Ton temps est donc encore plus compté que ceux des autres.

Au fil des jours, la chirurgienne est devenue presque une amie. Elle a aussi connu l’hôpital d’hier. Deux bouleversements l’ont particulièrement marquée :
— La première révolution, c’est le rapport à l’erreur. Hier, on les cachait. Aujourd’hui, c’est un moyen pour avancer. On essaye de trouver des solutions pour qu’elles ne se renouvellent plus. La deuxième, c’est le travail en équipe. Même si, comme tous mes confrères, j’étais réticente au début, j’ai découvert qu’on est tous gagnants quand tous les soignants, les malades, les aimants ont le droit à la parole. Cinq minutes de mélange d’intelligence permettent de gagner chaque jour plusieurs heures.

Je suis restée 21 jours à l’hôpital. C’est le temps nécessaire pour intégrer un changement. Saby restant ma référente pendant 6 mois, je continue à être en lien avec elle ainsi qu’avec Hong. Souvent, on bénit le Covid. Mettant en crise l’hôpital, il l’a obligé à se réinventer.

Vous voulez imaginez d’autres options, d’autres métiers de l’hôpital de demain, contactez-nous.