Dérapages contrôlés

Et si demain, on utilisait la voiture autonome pour régler ses comptes ?

Zoya prend place dans la voiture de Bierstein. L’engin étant autonome, le célèbre producteur s’occupe en ayant des gestes déplacés.

– Très belle voiture autonome, dit Zoya

Bierstein a un discret haussement de sourcil. Alors que toutes les voitures sont désormais autonomes, même des jeunes comme Zoya continuent de le préciser.

– C’est une œuvre de Bellostock. Les tatouages sont réalisés sur des peaux fabriquées à partir de mes cellules souches. Vous êtes assise sur un bout de moi-même.

Zoya apprécie le travail de ce tatoueur de renom. Les peaux artificielles qui décorent la voiture sont des œuvres étonnantes. Cela n’empêche pas que Bierstein est une vieille peau et qu’être installée sur une de ses excroissances n’est pas confortable.

– C’est beau ! C’est étonnant ! Les artistes ne savent plus quoi inventer, dit Zoya pour dire quelque chose.

– Vous aussi, vous êtes très belle, dit Bierstein en accompagnant sa réponse d’un sourire si large que la peau tendue et retendue de son visage menace de craquer

Ce séducteur aux propos médiocres n’est pas pour autant un débutant. Bierstein est le plus important producteur de films holographiques. Ce magicien du nouveau cinéma enchaîne les conquêtes en piochant dans son vivier d’actrices.

– Il n’y a plus du tout de volant dans votre voiture ?

Bierstein secoue la tête. Décidément, les artistes vivent dans un autre monde. Toutes les voitures de luxe n’en possèdent plus.

– Je n’en ai vraiment pas besoin. J’indique ma destination et ma voiture m’emmène là où je veux aller. Cela laisse du temps libre… Il y a dans la vie des choses beaucoup plus intéressantes que la conduite, dit-il en déplaçant sa main gauche sur la cuisse de Zoya.

– Moi, j’apprécie la bonne conduite, dit Zoya en retirant la main de Bierstein de son genoux.

Bierstein conserve son sourire de momie tout en pensant qu’il a les moyens de faire céder la demoiselle à son charme.

– J’ai une idée. Cela vous dit qu’on aille chez Chamoiseau, le nouveau 5 étoiles. C’est un ami. Il y a toujours une place pour moi et les charmantes jeunes femmes.

– Je n’ai pas faim.

Bierstein abandonne quelques secondes son sourire de momie. Il est contrarié. Il n’aime pas qu’on lui résiste. Si Zoya veut obtenir le rôle principal dans la nouvelle série holographique, elle va devoir se montrer plus conciliante.

– Chez Chamoiseau, on ne mange pas par faim, mais par plaisir. Il cuisine à l’ancienne sans intelligence artificielle. Il prend le temps de faire mijoter chaque plat. Comme dit ma mère : en amour comme en cuisine, ce qui est vite fait est mal fait.

Il profite de l’évocation de sa mère pour passer les bras autour du cou de Zoya.

– Je suis un régime moléculaire, dit Zoya en retira le bras envahissant de son cou.

– Alors je vous propose un bain de minuit dans ma piscine. Menthe, fraise, anis… Quel goût voulez-vous ? Pour la température, 28° vous conviendra-t-il ou c’est trop chaud ? Un clic et l’eau sera à votre goût.

– Je n’aime pas les piscines. Quand on sort, on a toujours l’impression d’être un légume mal décongelé, grommelle Zoya.

– Un légume mal décongelé ! Mais, vous êtes adorable, dit Bierstein en tentant de poser ses lèvres sur celles de Zoya.

La jeune femme tourne la tête à temps.

— Alors, où voulez-vous aller ? demande Bierstein.

– Je ne sais pas.

À ce moment la voiture fait un écart pour éviter un lapin. Bierstein profite de l’élan pour s’écraser sur Zoya et prendre ses seins dans les mains.

Zoya s’éloigne au bout de la voiture en disant :

– Si j’ai une idée. Je vais programmer notre destination. Vous la découvrirez quand nous arriverons.

Bierstein hésite. Il déteste qu’on touche à son joujou de milliardaire. Mais, comme cela semble mettre Zoya dans de bien meilleures dispositions, pourquoi pas la laisser faire.

– Zoya pianote sur le clavier.

– Vous n’avez pas besoin de fournir de longues explications à la voiture. L’IA de la voiture est très performante. Une destination suffit. Elle va analyser votre souhait et emprunter le meilleur chemin.

Après avoir programmé leur parcours, Zoya est plus détendue. Elle lui parle de son métier d’actrice de théâtre. Elle adore jouer dans plusieurs salles en même temps, même s’il y a parfois des dysfonctionnements avec les projections holographiques. Comme les plateaux n’ont pas toujours les mêmes dimensions, les spectateurs ont parfois l’impression qu’elle joue incrustée dans un mur.

Bierstein tente de nouveaux baisers, puis abandonne. Zoya lui réserve une surprise. Le mieux est d’attendre.

– Je commence à avoir une petite idée de notre destination, finit-il par dire. On se dirige vers la mer. Je parie sur les falaises d’Etretat. Très bon choix. Le lever de soleil sur la mer est une des choses que je préfère au monde.  Vous les femmes, vous avez une intuition qui m’étonnera toujours.

Zoya secoue la tête. Même si Bierstein est une vieille peau, il ne peut que savoir qu’il faut deux clics pour accéder à la liste de ses passions.

— On s’arrête ? s’étonne Bierstein.

– C’est ma maison. Je vais prendre un pull et je reviens, dit Zoya.

Les femmes étonneront toujours Bierstein. Toutes semblent résister à ses avances, mais finissent par céder. Enfin, rares sont celles qui l’invitent chez elles. Un lever de soleil sur la mer, puis une invitation à partager la couche d’une actrice à la beauté exceptionnelle dans un charmant cottage ! À cet instant, Bierstein déguste une solide tranche de bonheur.

Zoya descend de la voiture.

Bierstein sourit.

Son sourire s’estompe lorsqu’il voit la jeune femme former lentement avec ses doigts le fameux geste Metoo indiquant qu’un homme appartient à la catégorie des harceleurs.

Bierstein serre les dents. Il déteste ce genre de petite dinde qui se moque de lui.

Il appuie sur la poignée pour ouvrir la porte de sa voiture. Elle est coincée. La voiture démarre.

Zoya la regarde s’éloigner.

Le lendemain Bierstein ne fait pas la une de l’actualité pour ses harcèlements et agressions sexuels, mais pour son saut fatal en voiture depuis les falaises d’Etretat. Dans tous les médias, l’intelligence artificielle de sa voiture est responsable de l’accident. Pour les uns, elle a mal évalué les distances. Ce genre de problèmes est fréquent même dans les voitures de luxe. D’autres pensent qu’elle a été hackée. Des pirates l’ont trafiquée pour réagir à la dernière déclaration de Bierstein où il affirmait que les femmes jouissent encore plus lorsqu’elles sont violées. Les AI ont si mauvaise presse ces derniers temps, que pas un n’imagine que l’accident puisse avoir une origine humaine.

CAPSULES INTEMPORELLES